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Être bien au travail

Diagnostiquée TDAH à 49 ans, elle revient sur son parcours professionnel : "J'étais une tête brulée, accro à l'adrénaline"

Par Hugo Diverres Publié le

Un témoignage inspirant !

Diagnostiquée TDAH à 49 ans, elle revient sur son parcours professionnel : "J'étais une tête brulée, accro à l'adrénaline"

Le TDAH concernerait près de 3% des adultes en France (environ 2 millions de personnes) mais la plupart des spécialistes du sujet s’accordent à dire que ce trouble est largement sous diagnostiqué. Entre 4% et 6% des adultes pourraient en être atteint.

Quelles sont les conséquences d’un TDAH sur sa vie professionnelle quand on ne sait pas soi-même qu’on est neuroatypique - et qu’on ne bénéfice donc d’aucun accompagnement ? C’est le parcours d’Alice*, 49 ans, manageuse dans le secteur culturel diagnostiquée l’année dernière. Après une carrière menée tambour battant, un violent burnout l’a obligée à faire une pause et à prendre du recul. Elle a accepté de nous raconter son histoire.

Comment avez-vous découvert que vous aviez un TDAH ?

J’ai été diagnostiquée cet été à l’âge de 49 ans. J’ai coutume de dire que je suis né en 1974 mais que j’ai vécu une nouvelle naissance fin aout 2023. Finalement, c’était peut-être l’année la plus importante de ma vie.

La première alerte est d’abord venue de mes deux filles. Il y a plus d’un an, ma fille ainée avait des problèmes d’anxiété et un psychiatre lui a diagnostiqué un trouble de la personnalité borderline. Mais après plusieurs séances de psychiatrie et un bilan neuropsychologique complet, le diagnostic est tombé : TDAH. J’en profite pour dire que ce genre de diagnostic ne se fait pas en une seule séance avec un coach certifié, c’est un processus relativement long avec des études quantitatives, qualitatives, des tests de QI, de comportement et l’avis d’un neurologue.

Lorsque ma fille m’a dit que c’était potentiellement un trouble héréditaire, je me suis braquée. Je n’aime pas les étiquettes ou la victimisation… et j’étais sans doute dans le déni. Pourtant, j’étais déjà très fatiguée à cette époque. Quelques mois plus tard, je suis allé voir un thérapeute pour ma plus jeune fille de 11 ans qui cumulait les petits soucis scolaires et certaines peurs autour de la piscine, du vélo, etc. Après un bilan psychomoteur complet, elle a été diagnostiquée dyspraxique. Là, j’ai compris qu’il y avait sans doute quelque chose… A cette période, j’étais totalement épuisée à la suite d’un divorce compliqué et de nombreux traumatismes de mon enfance étaient en train de remonter à la surface. J’avais des pertes de mémoire régulières, des difficultés à me concentrer pendant les discussions, je buggais sur des mots. Le TDA peut rester en sommeil et être sous contrôle durant des années si l’environnement est stable et équilibré, et resurgir précipitamment à la suite de surcharges ou d’états émotionnels intenses !

Un mois plus tard, je décide donc de faire un bilan neurologique complet. Le neurologue m’annonce que je suis TDAH, « sans surprise », mais que ce n’est pas ça qui l’inquiète le plus : « A votre âge, vous avez déjà une carrière, vous avez appris à surcompenser et à vous suradapter… au fond, c’est déjà une situation sous contrôle depuis votre enfance car vous n’aviez pas le choix de faire autrement. En revanche, je ne sais même pas comment vous arrivez à vous tenir debout devant moi ! Vous êtes en état d’épuisement cérébral complet, proche de 100%. Vous êtes en trouble du sommeil permanent et votre cerveau ne se repose jamais. Votre disque dur est en surcharge et il va falloir très vite vider le cache, madame ! »

Sans le savoir, cela faisait des années que j’avais une activité cérébrale très intense jours et nuits… Avant de s’occuper de mon TDAH, il a donc d’abord fallu s’occuper de mon sommeil et en passer par la voie médicamenteuse avec un traitement ISRS (Inhibiteur sélectif de la recapture de la sérotonine). J’ai beaucoup dormi, pendant au moins une semaine d’affilée. La science me donnait enfin le droit d’être épuisée et comprise, elle validait enfin cette fatigue chronique accumulée pendant toutes ces années ! Cela été un choc, un lâcher-prise total. Puis il a fallu que j’accepte 25 ans de ma vie et de mes choix…

Avec le recul, qu’est-ce que votre TDAH a pu changer dans votre carrière et votre parcours ?

Malgré le fait que je sois quelqu’un de calme et posé, j’avais une forme d’hyperactivité qui me fatiguait moi-même et mes proches. Vous savez, il y a autant de TDAH que de personnes TDAH…

Avec le recul, je comprends que j’étais accro à l’adrénaline ! Dans ma vie personnelle, j’ai fait de nombreux choix impulsifs, en amour par exemple. Dans ma vie professionnelle, j’étais en permanence dans une quête de réussite : j’éprouvais une forme de jouissance à réaliser d’importants chiffres d’affaires, organiser de gros événements, des vernissages avec des milliers de personnes, etc. J’étais addict au succès. Avec cette passion pour les résultats spectaculaires, j’étais un véritable monstre de travail et ne m’arrêtais jamais. J’ai d’ailleurs eu très vite des responsabilités et je me faisais souvent débaucher de boite en boite car je présentais une personnalité extrêmement dynamique et confiante. Ce qui me fait penser que potentiellement un nombre important de traders, de politiques ou d’artistes ont eux aussi des TDAH et cherchent à combler ce même manque d’adrénaline au quotidien… On ne s’arrête jamais, comme un jogger accro à sa dose d’endorphine !

Plus jeune, au début de ma carrière, j’étais un peu une tête brulée. ‘Vous ne me donnez pas cette augmentation totalement irréaliste ? Eh bien je claque la porte.’ Je l’ai fait plusieurs fois, mais toujours en veillant à la faire dans des circonstances où mes résultats professionnels étaient au top. Je me permettais de faire la diva et… ça marchait : j’ai souvent eu de très gros salaires. Il faut voir comment je challengeais ma hiérarchie, souvent masculine dans mon secteur d’activité à l’époque ! Je pense qu’ils aimaient et respectaient ce type de rapport de force, d’autant que je tenais très bien mon business.

Mon enfance difficile m’a poussé à développer très tôt un instinct de survie qui ne m’a jamais quitté, si vous ajoutez à cela ma forte personnalité et par-dessus le marché un TDAH, vous obtenez un cocktail explosif ! Mais j’ai souvent eu de la chance, car on ne mesure pas les conséquences de ses actes dans des moments pareils.

Quand j’étais dans une période de grosse concentration pour un projet important, je ne mangeais pas, je ne dormais pas et même, parfois, j’oubliais d’aller aux toilettes ! J’étais tout le temps obnubilée par le travail. Je voyageais aux quatre coins du monde et quand j’étais à la maison, mes enfants me disaient tout le temps : « Tu m’écoutes maman ? » Cette phrase veut tout dire…

Vous auriez agi différemment si vous aviez su plus tôt que vous aviez un TDAH ?

Désormais, je suis extrêmement prudente. Je réfléchis posément avant d’envoyer le moindre sms ou mail sans importance. Connaître mon trouble m’aurait sans doute évité de faire des choix stupides et précipités sur le plan sentimental, avec mes enfants… Tout cela a eu des conséquences énormes sur ma vie !

Aujourd’hui, je suis aussi dans l’acception de la différence des autres. Peu importe qu’on accepte la mienne ou non, je m’efforce en tout cas d’être empathique et à l’écoute envers chacun. Je me dis : cette personne normopensante (non neuroatypique ) ne peut pas être dans le même ressenti que moi. C’était parfois quelque chose qui m’énervait chez certains collaborateurs, je les trouvais mous, incapables de prendre des initiatives.

D’autant que lorsqu’un sujet me passionne, je n’ai aucune limite de temps et je rentre dans des phases d’hyperconcentration. Et mon entourage familial se moque gentiment de moi en disant que j’aurais pu être à la fois avocate, médecin, agent immobilier, etc. Je suis trilingue, j’ai appris certains logiciels en une journée de pratique uniquement et en ce moment je me passionne pour l’IA. Or, cela peut avoir un impact sur les autres dans le cadre professionnel. Car, eux, ils ont une vie normale et ils ont besoin de se reposer et réfléchir à leur rythme. A l’inverse, quand un sujet ne m’intéresse pas, j’ai tendance à décrocher très vite et à ne plus écouter. Ça ne veut pas rentrer dans ma mémoire, blocage total ! Tout comme il m’est difficile de tenir en place lors de réunions travail que je juge parfois peu utiles.

Comment est-ce que vous êtes parvenue à compenser vos troubles de l’attention ?

Par la passion ! J’étais tout le temps passionnée par un nouveau projet. Au début des années 2000, j’ai par exemple réussi à convaincre mes supérieurs de faire du télétravail pour être plus efficace. C’était très rare à cette époque. Autant vous dire que je ne m’arrêtais plus de travailler…

Aujourd’hui, je réalise aussi que tout cela était super pour les employeurs. Certes, j’étais très bien payée mais j’abattais un travail monstre, je faisais parfois le boulot de deux ou trois personnes. Je devenais en général irremplaçable et avec du recul, ça aurait pu effectivement mettre en péril l’équilibre de l’entreprise au vu de mes responsabilités disproportionnées par rapport à mon poste. J’étais une acharnée de travail et c’était largement valorisé. On me disait très pro-active, efficace, intuitive, autonome et solaire.

Si je devais changer de parcours, j’aurais aimé travailler pour des entreprises qui prennent davantage en considération la santé mentale ou avoir la chance de rencontrer des médecins du travail qui posent les bonnes questions. Quelqu’un d’accro au travail comme moi, ça aurait dû interroger…

Selon vous, quelles sont les pistes d’amélioration pour mieux prendre en compte la neurodiversité et le TDAH dans le monde professionnel ?

En premier lieu, je prône de plus en plus le deepwork. Par exemple, 4h de travail en solitaire sans être dérangée, 2h de réunion et 2h de réponses aux mails. Le parasitage, c’est ce qui me causait le plus de problèmes auparavant : j’avais des journées de 12h car je voulais tout faire et répondre simultanément à tous mes interlocuteurs pour résoudre les problématiques. Les études montrent qu’une personne ne donne vraiment le meilleur d’elle-même que quatre heures par jour. Nous vivons donc dans une société d’hyperactifs ! Par exemple, pourquoi ne pas envisager que la connexion internet soit automatiquement coupée dans les locaux de l’entreprise à un moment donné lorsque le temps de mailing est écoulé ?

La médecine du travail devrait aussi former et sensibiliser plus de gens. L’addiction aux emails est un signal marquant qu’on peut facilement détecter. Pourquoi n’y aurait-il pas également des campagnes de tests neurologiques au sein des entreprises pour détecter les neuro-divergences ? Seulement 10% de la population a été diagnostiquée à l’heure actuelle… Beaucoup vivent leur neuroatypie sans le savoir et s’il y a autant de burnout, ce n’est pas un hasard selon moi.

Il y a de nombreux aménagements à faire ! Les conditions de travail s’améliorent souvent grâce à de petits changements. Normaliser le fond uni lors des visios par exemple. Surtout lors des entretiens d’embauche… Un chat qui passe ou une bibliothèque derrière le recruteur, c’est très compliqué pour la concentration. Lors des entretiens en présentiel, tous les recruteurs pourraient facilement privilégier les pièces aux lumières tamisées en évitant les lumières blanches. Et fermer les portes pour favoriser la concentration sans distraction sonore. Tout comme la mise à disposition pour les employés de casques à réduction de bruit devrait être normalisée, surtout en open space ! Ce type d’aménagement est simple et ne gêne personne. Dans l’idéal, un neuroatypique ne devrait même pas avoir à le dire lors d’un processus de recrutement s’il ne veut pas se divulguer. Il a pourtant le droit au statut handicapé mais de mon côté, je ne le souhaite pas. Je pense aussi que les CV inclusifs où seules les compétences ressortent devraient devenir la norme… Avec mon parcours et ma polyvalence, mon CV fait souvent peur aux recruteurs : comment est-ce possible d’être un profil créatif et commercial en même temps ?

Pourtant, certaines entreprises ont bien compris l’intérêt de profils comme le mien, à l’image de Ubisoft ou Microsoft qui ont des programmes de recrutement et d’accompagnement dédiés. Elles ont compris tout ce que la neurodivergence peut apporter. Cela me soulagerait de ne plus avoir besoin de me cacher et qu’une entreprise me dise « ok, pas de souci on va faire des aménagements pour toi ». Il y a encore du chemin à faire, surtout en France.

Un conseil pour les jeunes professionnels neuroatypiques ou qui ont des doutes ?

N’attendez pas d’en arriver au même état que moi : allez consulter et levez le pied ! A 20 ans, 30 ans ou 35 ans, vous pouvez encore changer les choses et éviter le crash en plein vol comme je l’ai vécu ! J’ai appris toute ma vie à surcompenser en fonction du contexte et de mon environnement. Mais j’étais une bombe à retardement. Heureusement, j’ai reçu beaucoup de soutien, de compréhension et d’amour de mes proches. J’avais de la personnalité et une réelle capacité à me remettre en question, donc j’ai survécu mais ça aurait pu mener à bien pire.

Quels sont vos projets aujourd’hui ?

Aujourd’hui je suis dans le lâcher-prise, je me camoufle de moins en moins et j’ai appris à communiquer avec les autres. Je ne m’isole plus du monde entier avec mes pensées arborescentes, je m’accepte enfin et je vis des belles choses. Je n’ai plus aucune ambition personnelle mais une ambition collective : j’ai envie de transmettre et de donner ! Pourquoi pas faire des conférences en entreprise et sensibiliser sur ce sujet ?

*Le prénom a été modifié à sa demande

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Crédits photo : annne/stock.adobe.com

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