Comment faire entendre sa voix en réunion quand on est une femme ?

On vous coupe souvent la parole en réunion ? Sans le savoir, vous faites peut-être les frais du manterrupting. Ce mot-valise, apparu aux Etats-Unis en 2015, désigne le fait de se faire constamment interrompre par un homme lorsqu’on est une femme. Ce phénomène, loin d’être anodin, peut avoir un réel impact sur votre carrière. Et il ne représente que la face émergée de l’iceberg, tant les freins à la prise de parole des femmes sont nombreux !

Les hommes responsables de 96% des interruptions de parole

Le phénomène de manterrupting est en réalité connu depuis le milieu des années 1970, année de publication d’une étude de Don Zimmerman et Candace West, deux sociologues américains. Ces derniers ont passé au crible 31 conversations enregistrées dans des lieux publics. Les résultats sont sans appel : quand la conversation est mixte, les hommes sont à l’origine de 96% des interruptions !

La situation n’a guère changé presque un demi-siècle plus tard, si l’on en croit les résultats d’une autre enquête de 2015 relayée par Le Monde : lors d’une conversation de trois minutes portant sur un sujet neutre, les hommes interrompent les femmes en moyenne 2,6 fois ! Dans le cadre pro, ils interviennent aussi davantage à l’oral et ont tendance à moins écouter leurs collègues féminines. Une étude de la Brigham Young University a ainsi relevé que les hommes monopolisaient 75% du temps de parole en réunion.

Souvent angoissées à l’idée de parler en public, les femmes ont tendance à se sentir illégitimes et à manquer d’assurance à l’oral. Non sans raison : selon les conclusions d’une autre étude citée par le quotidien, les hommes de pouvoir qui parlent beaucoup sont perçus comme de meilleurs dirigeants que ceux qui s’expriment peu. Alors pour les femmes, c’est totalement l’inverse ! Celles qui osent s’exprimer haut et fort sont perçues comme agressives et autoritaires, alors qu’un homme qui adopte la même attitude sera salué pour son leadership... Cherchez l’erreur !

Les filles plus bavardes, vraiment ?

Ces comportements, souvent inconscients, s’enracinent dès le plus jeune âge. Selon Isabelle Collet, professeure en sciences de l’éducation à l’université de Genève interrogée par Le Monde, ils sont avant tout le fruit d’une éducation genrée. « Les bébés de sexe féminin sont pourtant plus amenés que leurs homologues masculins à développer une communication verbale. Mais ces capacités langagières précoces ne leur donnent pas accès à la prise de parole en public par la suite. Car le problème n’est pas de parler, mais de s’autoriser à être visible par la parole », explique-t-elle.

Alors qu’on attend des petites filles qu’elles soient sages et discrètes en public, les garçons investissent tout l’espace, encouragés par des adultes qui valorisent ce type de comportement. L’enquête menée par Isabelle Collet en milieu scolaire a ainsi démontré que les élèves masculins interviennent en moyenne 2,3 fois plus que leurs homologues féminines en classe.

Or, « la conversation, loin d’être une activité anodine et spontanée, est traversée par des questions de pouvoir », soulignait la féministe Corinne Monnet dans un article publié en 1998 dans la revue Nouvelles questions féministes. Il suffit de regarder un débat politique à la tv pour s’en rendre compte !

Des conseils pour reprendre le pouvoir en réunion

S’il est difficile de balayer d’un geste plusieurs siècles de patriarcat, la prise en compte de cette problématique est de plus en plus forte dans nos sociétés. Des formations dédiées ont ainsi vu le jour pour permettre aux femmes de prendre la parole en public plus aisément. Certaines entreprises mettent également en place des systèmes de mentorat féminin en interne pour lutter contre le plafond de verre.

Vous avez envie de vous imposer davantage à l’oral ? Voici quelques conseils pour reprendre le pouvoir en réunion :

Occupez l’espace

Votre travail a beau être exemplaire, vous aurez moins de chances d’évoluer si vous ne parlez pas, ou peu, en réunion. A l’issue de l’échange, votre responsable retiendra davantage les interventions longues que de brèves remarques, même pertinentes. C’est sans doute injuste mais il vaut mieux en avoir conscience avant de s’exprimer. D’autant qu’en tant que femme, vous devez déjà lutter contre un certain nombre de biais négatifs liés à votre genre.

Vous vous êtes déjà fait ‘voler’ une idée par un collègue plus prolixe ? Pour éviter que cette situation se reproduise, n’hésitez pas à élever la voix et à développer vos prises de parole pour enfoncer le clou.

Usez de mimétisme

Dans l’inconscient collectif, une voix aigüe et fluette sera jugée enfantine, voire même agaçante. Alors qu’une voix de baryton sera le plus souvent associée à la force et à la puissance. Il est donc logique que certaines femmes masculinisent leur façon de parler pour être prises au sérieux. Il est d’ailleurs étonnant de constater que la voix des femmes devient naturellement plus grave au fil du temps. D’après une étude scientifique australienne, elle aurait ainsi baissé de 23 hertz entre 1995 et 1993 !

Soyez solidaire

Vous êtes témoin d’un cas flagrant de manterrupting ? Interpellez aussitôt l’indélicat pour lui indiquer que vous aimeriez entendre ce que votre collègue a à dire. Que vous soyez vous-même une femme ou un homme, cette tolérance zéro permettra de rééquilibrer efficacement le temps de parole en réunion. Et, qui sait, de faire réfléchir ceux qui perpétuent cette mauvaise habitude !

Ne vous excusez pas

Bannissez toutes les phrases qui dévaluent vos propos, comme « c’est sans doute une bêtise mais… », « j’ai peut-être tort mais… ». Les femmes ont tendance à être beaucoup plus critiques vis-à-vis d’elles-mêmes que les hommes. Ces derniers n’ont pourtant pas le monopole des bonnes idées. Alors ne vous sous-estimez pas car votre avis mérite d’être entendu !

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