Pourquoi près de la moitié des candidats s'auto-censurent avant même de postuler

Si le nombre d’offres d’emploi a augmenté ces dernières années (en hausse de 34% pour les cadres en 2022), le volume de réponse aux offres décroît. Si bien que le recrutement est devenu un exercice difficile dans certains secteurs qui font face à une véritable pénurie de candidats. De nombreuses explications ont été avancées pour tenter de comprendre le phénomène : inadéquation entre formation et besoins des entreprises, baisse d’attractivité de certains métiers, quête de sens des salariés, exigences croissantes des candidats voire remise en cause de la valeur travail…

Pour tenter d’éclaircir une partie du mystère, la chaire Compétences, employabilité et décisions RH de l’EM Normandie a tenté de répondre à une question simple : pourquoi un candidat décide-t-il de répondre à une offre ?

Ce qui pousse un candidat à postuler ou non

Afin de mieux comprendre ces mécanismes, les chercheurs ont confronté 165 comptables généralistes en recherche d’emploi à de vraies offres. Ils avaient tous une ancienneté et des compétences équivalentes mais des parcours différents, certains plus linéaires que d’autres. Les offres ont par ailleurs été choisies pour correspondre aux compétences et aux lieux de résidence des candidats : « Les candidats devaient décider de postuler ou non, puis décrire les causes de leur choix. »

Seuls 46% d’entre eux ont finalement postulé ! Et d’après les résultats, le facteur le plus déterminant dans le choix de postuler ou non serait … l’estimation des chances d’être choisi. La crainte du processus de sélection est d’autant plus prégnante chez ceux qui décident de ne pas postuler puisque 81,1 % d’entre eux ont refusé de postuler pour cette raison, quand 64,5 % ont choisi de postuler justement car ils estimaient avoir des chances réelles d’être choisi. L’affinité avec le poste (7,6%) ou avec l’entreprise (11%) arrivent loin derrière.

Crédit image : capture d'écran H.R.Insights #08/ EM Normandie

Les rapporteurs de l’étude précisent ainsi que « les individus ne postulent pas massivement, comme on tenterait sa chance en suivant une stratégie de volume. Ils semblent, au contraire, limiter leurs candidatures à celles qui ont de réelles chances d’aboutir. »

L’estimation des chances d’être choisi est bien plus déterminante pour les candidats que la certitude d’être capable ou non d’occuper le poste : « Lorsque les candidats estiment que ce processus peut leur être favorable, ils postulent. Lorsque les candidats craignent que ce processus leur soit défavorable, ils s’auto-éliminent. »

Des candidats sur-vigilants face aux risques « d’espoir déçus »

Si tous les candidats étaient passionnés de probabilité, ils maximiseraient donc leur chance de décrocher un emploi en postulant au plus grand nombre d’offres possible. Mais ce n’est pas comme ça que réfléchissent les chercheurs d’emploi, souligne l’étude de l’EM Normandie, qui démontre au contraire leur aversion au risque : « Le faible volume de réponses aux annonces provient de comportements sur-vigilants. C’est l’estimation de chances de succès élevées, et seulement celles-là, qui les fait postuler. »

Pourquoi ? La raison est en grande partie psychologique : personne n’aime affronter un refus et devoir gérer la déception n’est jamais simple, en particulier lors d’un processus comme la recherche d’emploi qui peut s’avérer long. Pourtant, comme les chercheurs l’indiquent bien dans leur conclusion, les estimations des candidats se basent sur trop peu d’éléments pour qu’elles soient fiables.

« Tout semble indiquer que l’intérêt pour le poste tend à s’effacer devant les aléas de la sélection et les risques de déception qu’ils pourraient engendrer. Le « fit » entre le candidat et le poste est nécessaire, mais il ne suffit pas. Encore faut-il estimer avoir de bonnes probabilités de succès avant de postuler, afin de s’épargner des espoirs déçus et des déconvenues. Mais ces estimations sont bien aléatoires : sans pouvoir connaître qui sont ses compétiteurs ou combien ils sont, il est bien difficile d’estimer ses probabilités de succès. »

La qualité de sa carrière est déterminante dans l’acte de postuler

En effet, les candidats ne connaissent qu’un seul élément tangible sur lequel ils peuvent se baser pour jauger de leurs chances de succès : leur propre carrière. Les chercheurs ont ainsi défini trois groupes de candidats en fonction de leur type de carrière : faible, moyen ou fort.

• « Les répondants dont la qualité de carrière est faible ont connu des parcours hachés, incluant des périodes de chômage, des contrats précaires et plusieurs employeurs. »
• « Les répondants dont la qualité de carrière est moyenne ont connu des parcours plutôt linéaires, avec cependant quelques périodes de chômage et, parfois, quelques contrats précaires. »
• « Les répondants dont la qualité de carrière est élevée ont connu des parcours linéaires, sans périodes de chômage et sans contrats précaires. »

Selon les résultats de l’étude, les critères de choix pour postuler différent en fonction de la qualité de carrière des candidats, de même que les aspects qui les intéressent dans les offres. En conséquence, chaque groupe adopte sa propre stratégie dans son « rapport à l’acte de postuler ».

Carrière faible

Chez les candidats aux carrières faibles, ni l’affinité avec le poste, ni l’affinité avec l’entreprise ne déclenchent l’acte de postuler. C’est l’estimation de bonnes chances de succès qui est déterminante. Avec un CV a priori moins attrayant pour les recruteurs, le processus de sélection est vu par ces candidats « comme la principale épreuve qu’ils vont devoir surmonter pour accéder à l’emploi ». Ils postulent donc uniquement lorsque les chances de succès sont fortes selon eux. Les missions ou les perspectives d’évolution ne sont pas déterminantes à leurs yeux, contrairement à la perspective d'un CDI.

Carrière moyenne

Ce sont les candidats aux carrières moyennes qui sont les plus susceptibles de postuler aux offres. S’ils prennent en compte leurs chances de succès avant de postuler, « ils prennent plus souvent le risque de soumettre leurs candidatures, notamment par affinité avec le poste [car] ils sont principalement intéressés par les missions présentées par l’annonce. »

Carrière forte

Les candidats aux carrières fortes postulent moins souvent et les éléments déclencheurs pour postuler sont totalement différents des deux autres groupes. La chance de réussite est ainsi secondaire pour eux, contrairement à leur affinité pour l’entreprise. « Ils sont sans doute exigeants, et leur parcours leur permet d’être sélectifs : le choix de postuler est d’abord motivé par l’affinité avec l’entreprise et par les perspectives d’évolution. »

Crédit image : capture d'écran H.R.Insights #08/ EM Normandie

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