Nomination de Kamala Harris : un cas d'école de la « falaise de verre » ?

« L’ultime plafond de verre ». C’est dans ces termes que de nombreux médias ont abordé la candidature de Kamala Harris, alors que l'actuelle vice-présidente des Etats-Unis devrait sans surprise décrocher l'investiture démocrate la semaine prochaine, et potentiellement devenir la première femme racisée à accéder à la Maison Blanche. Certains titres, comme Forbes, évoquent même la « falaise de verre » qui attendrait l’ancienne procureure générale de Californie. Un concept moins familier que le fameux plafond, qui pourrait néanmoins s’avérer pertinent pour décrire cette soudaine nomination à trois mois de l’élection.... mais que recouvre-t-il, et pourquoi l’observe-t-on notamment dans le monde du travail ?

Aux origines de la “falaise de verre”

Pour comprendre ce phénomène, il ne faut pas traverser l’Atlantique, mais la Manche. En 2005, Michelle Ryan et Alexander Haslam tombent sur une enquête du Times, qui révèle que les grandes sociétés britanniques les moins performantes seraient celles dirigées par une femme. Intrigués, les deux chercheurs examinent alors la liste des 100 entreprises les mieux cotées à la bourse de Londres, et épluchent leur bilan.

Résultat : celles qui ont nommé une femme à leur direction enregistraient de mauvais résultats… dans les cinq mois avant la nomination. En d’autres termes, les dirigeantes étaient le plus souvent appelées à la barre en situation de crise, et lorsque le risque d’échec était le plus élevé.

Pour vérifier cette hypothèse, Ryan et Haslam se tournent donc vers la sphère politique, plus précisément sur les élections législatives britanniques de 2005. Autre univers, même constat : le parti conservateur avait choisi de présenter des députées dans des circonscriptions à risque, là où leurs homologues masculins avaient enregistré des scores plutôt bas aux élections précédentes.

Plusieurs études viendront corroborer cette hypothèse, qui s’impose progressivement comme une tendance avérée. Après l’avoir constaté, Ryan et Haslam conceptualisent donc ce problème structurel : ça sera la “falaise de verre”, ou plutôt le glass cliff, en VO.

Un traitement exclusivement réservé aux femmes ?

En 2013, c’est à nouveau un duo de chercheurs, ou plutôt de chercheuses, qui reprend le concept pour mener ses recherches. Christy Glass et Alison Cook, de l’université de l’Utah, décident d’étudier les bilans des 100 plus grandes entreprises américaines et des équipes de la ligue universitaire de basket.

Le résultat vient non seulement appuyer le constat de Michelle Ryan et Alexander Haslam, mais il étend le spectre de l’étude aux minorités ethniques. On constate par exemple que les équipes ayant enrôlé un afro-américain sont le plus souvent celles qui, en début de saison, essuyaient un mauvais bilan. Plus encore : les mandats des dits entraîneurs apparaissent, en moyenne, plus courts : un an de moins que leurs homologues blancs.

« D'une certaine manière, c'est comme si les entraîneurs minoritaires faisaient face à une double peine », affirme Glass, sur le site de l’université de l’Utah. « Non seulement ils sont plus susceptibles d'être placés dans des équipes en difficulté, mais ils n'ont pas assez de temps pour faire leurs preuves, ce qui, d'une certaine manière, risque de confirmer le préjugé que les entraîneurs noirs ne sont pas aussi bons. »

Un gouffre plus que jamais d’actualité

La falaise de verre a eu raison de nombreuses carrières professionnelles, celles qui incarnent le plus ses dérives sont certainement les trajectoires politiques. L’exemple britannique est peut-être l’un des plus édifiants : on se rappelle notamment de l’ex-Première ministre Theresa May, chargée d’organiser la très compliquée sortie de l’UE après le vote du Brexit… avant d’être remplacée par Boris Johnson, personnalité autrement plus controversée. Ce dernier devra démissionner, trois ans plus tard, suite au scandale du « Partygate» pendant la crise du Covid. Alors, qui pour le remplacer ? Une femme, en la personne de Liz Truss. Celle-ci abandonnera après 44 jours de mandat, et deviendra la plus éphémère des premiers ministres de l'histoire britannique.

Alors, après l’abandon de Biden, Kamala Harris fait-elle face à la falaise de verre ? Force est de constater que sa nomination intervient dans un contexte complètement inédit. Si tel est le cas, ce n’est pas la première fois que la californienne fait face au glass cliff : dès sa première année en tant que vice-présidente des États-Unis, des voix s’étaient élevées contre Joe Biden, l’accusant d’avoir envoyé Harris au casse-pipe sur la question de l’immigration, alors qu’une crise migratoire était en cours à la frontière mexicaine. Une gestion pour laquelle elle est vivement critiquée… et qui refera très probablement surface au cours des trois prochains mois.