Managers : faut-il vraiment pratiquer la maïeutique avec vos collaborateurs ?

La philo et le management, toute une histoire. Quand elle n'était pas rejetée par les entreprises car "le discernement critique n’est pas sans risque pour la paix sociale organisationnelle", c'était les philosophes qui ne voulaient pas se salir à penser cet "univers cynique, peuplé d’individus bornés et soucieux de leur seul profit". Mais ça, c'était avant... En effet, comme l'expliquent Isabelle Barth et Yann-Hervé Martin en introduction de leur ouvrage La manager et le philosophe, "rien ne semblait prédestiner le monde de la philosophie et celui du management non seulement à se rencontrer, mais à prendre le temps de cheminer ensemble pour nourrir un dialogue authentique et que nous espérons fécond". Pourtant, désormais, philosopher sur le monde de l'entreprise et le management n'a jamais été aussi tendance. Selon un récent article paru dans Le Monde,  les jeunes docteurs en philo sont courtisés, toutes proportions gardées, par les startups pour réfléchir aux sens et valeurs de leur organisation, le magazine Philonomist ne parle que de cela et les coachs du monde du travail réussissent à surfer sur les philosophes de l'Antiquité pour vendre leur expertise.

Un de leur thème de prédilection : la maïeutique, ou l'art du questionnement selon Socrate. Au Vème siècle avant J-C, celui-ci dévoilait cette technique pour bien interroger une personne. La maïeutique, selon le philosophe, c'est l'art de faire accoucher les esprits de leurs connaissances. Pour faire simple, la maïeutique permet de dévoiler ce que les personnes ignorent qu'elles savent. Il est facile de comprendre pourquoi elle est souvent citée comme technique de management. Elle est simple d'accès - c'est le fameux "Connais toi toi-même" - et s'adapte bien au rôle supposé du manager : à savoir un leader capable de faire grandir ses collaborateurs, de les questionner sur leur réalisation afin de les amener plus loin et plus haut. Mais, si l'on suit la pensée de Socrate, pour dévoiler aux hommes qui ils sont vraiment, il faut les interroger sur l'idée de ce qu'ils se font d'eux-mêmes.

Faut-il alors vraiment questionner ses collaborateurs sur leur dernière mission pour qu'ils en arrivent à la conclusion, d'eux-mêmes, que c'était un échec total ? Est-il bien nécessaire de les interroger sur leur comportement dans l'open space et leur faire sentir que oui, c'est vrai, ils sont imbuvables, pédants, râleurs... ?

C'est évidemment réducteur mais pas totalement faux non plus. Poser des questions et s'en poser est un signe évident d'intelligence. Certains feront d'ailleurs le rapprochement avec l'empathie, cette nouvelle qualité managériale.

Mais passons... C'est plutôt l'utilisation qui est faite de la maïeutique qui prête à sourire. Son application "concrète", selon les experts de l'emploi, permettrait, par exemple, de mieux comprendre les besoins d'un client. Si son brief est imprécis, il faudrait le pousser dans sa réflexion et ses retranchements pour qu'il accouche d'une super idée. Une méthode qui a ceci de pratique qu'elle inverse le rôle du client et du prestataire... En entreprise, lorsqu'il y a un problème à résoudre, il faudrait aussi passer par la maïeutique. Parler de mener une réunion et se lancer dans une réflexion collective semblerait toutefois plus juste.

Alors faut-il limiter Socrate aux cours en amphithéâtre ? Loin s'en faut ! Pour faire reconnaître à chacun son ignorance, le philosophe interrogeait les uns et les autres sur leur vécu quotidien. A un prêtre, de l'interroger sur : "Qu'est-ce que la charité ?", à un soldat sur : "Qu'est-ce que le courage ?" Pour connaître la valeur d'un cadre, il est alors possible de lui demander : "Qu'est-ce que le management ?"