"Le tour de France avec mon CV" : l'étonnant périple de Théo Bonnefoy

Diplômé de deux masters en Histoire et en recherche d’emploi, Théo a décidé de se lancer dans une aventure aussi folle qu'inédite : faire le tour de France avec son CV pour aller à la rencontre des employeurs. Ainsi, depuis le 1er août, il parcourt le pays en TER pour faire du réseau et distribuer son curriculum vitae, en passant un jour et demi dans chaque ville (une quinzaine au total). Pour épicer le tout, le jeune homme de 26 ans dort chaque soir chez un inconnu via Couchsurfing. Il ne nous en fallait pas plus pour rencontrer le candidat le plus aventureux de France afin qu’il nous raconte son aventure.

Qu’est-ce qui t’as amené à te lancer dans ce Tour de France ?

Je suis diplômé de deux masters en Histoire, et j'étais formateur en FLE (français langue étrangère) et TRE (Techniques en recherche d'emploi) jusqu'en juin dernier. C’était à Migennes, une petite ville de 7000 habitants, dans l’Yonne. J’avais besoin de changer de paysage, d'aller vivre dans une grande ville, donc j'ai décidé de quitter mon boulot fin juin. 

J’avais déjà fait un tour d’Europe en couchsurfing. Un jour, aux Pays-Bas, je me suis retrouvé chez un employé de banque avec qui j’ai beaucoup échangé, notamment à propos de son métier et de sa carrière. C’est comme ça qu’a commencé à germer l’idée de ce projet : faire la même chose en France, avec l’objectif de trouver un emploi à la rentrée. Et puis j’ai un pass qui me permet de prendre le TER en illimité, je pouvais dormir chez des gens via Couchsurfing, donc logistiquement c’était faisable.

Le concept de ce voyage n’est pas sans rappeler “J’Irais Dormir Chez Vous”. Qu’est-ce que tu cherchais dans cette itinérance ? 

Effectivement ! J’avais aussi en tête les aventures curieuses de David Castello Lopes, qui traverse le monde pour découvrir l’origine des choses, je me reconnais bien dans ce côté curieux.

En fait c’est surtout le fait de loger chez des inconnus qui m’apporte quelque chose, c’est un moyen hyper efficace, quoique surprenant, de se faire un réseau professionnel ! D’ailleurs ça s’est vérifié pendant ce voyage : on me met en relation avec d’autres personnes qui peuvent m’aider dans mon projet de recherche d'emploi. Récemment, je devais dormir chez une utilisatrice de l’application : il se trouve qu’elle travaillait dans le service RH d’une boite au Luxembourg, elle m’a même proposé un job là-bas ! Ces rencontres, je ne les aurais pas faites si j’étais resté chez moi.

Qu’est-ce qui vous prouve que ma lettre de motivation est authentique, qu’elle n’a pas été écrite avec ChatGPT ? Moi, je me présente aux gens en ayant traversé la France pour les rencontrer, on ne peut pas me dire que je ne suis pas motivé et authentique !

Ta méthode a de quoi surprendre, comment réagissent les entreprises lorsque tu te présentes et que tu leur racontes ta démarche ?

Les gens me disent souvent que je suis courageux, je pense qu’ils veulent dire complètement fou (rires)... J’ai eu droit à plusieurs types de réactions : certaines personnes sont interpellées, les jeunes surtout, ils ont envie d’en savoir plus. D’autres, en revanche, restent complètement indifférentes.

Lors de mon voyage, j’ai parfois eu l’impression d’être dans un monde à la Brazil (film de science-fiction réalisé par Terry Gilliam), une dystopie bureaucratique dans une société enfermée dans ses protocoles : on m'a notamment dit “désolé, nous ne sommes pas habilités à tamponner votre CV pour le transmettre à la direction” (rires).

À côté de ça, j’ai été très surpris d’être super bien accueilli là où je pensais me faire recaler, comme au Parlement Européen par exemple ! À Montpellier, je me suis pointé à la Maison des relations internationales, j’ai pu parler à l’une des responsables de cette institution, qui m’a elle-même présenté au directeur de la Maison de l’Europe… Encore une fois, je ne pense pas que j’aurais pu leur parler en tête à tête si je leur avais envoyé un mail. 

Tu as fait le choix de frapper directement aux portes des recruteurs, avec le risque de ne pas toujours tomber sur la personne en charge du recrutement…

Surtout en août. Il faut reconnaître que la manière dont j’approche ma recherche n’est pas la plus rentable ni la plus efficace, j’aurais pu le faire beaucoup plus simplement en envoyant des candidatures ! Je pense qu’avant tout, je voulais remettre de l’humanité et de l’authenticité dans mes échanges professionnels, ce sont deux choses qui font parfois défaut dans les processus de recrutement. 

Autant du côté des candidats que de l’employeur : par exemple, qu’est-ce qui vous prouve que ma lettre de motivation est authentique, qu’elle n’a pas été écrite avec ChatGPT ? Moi, je me présente aux gens en ayant traversé la France pour les rencontrer, on ne peut pas me dire que je ne suis pas motivé et authentique !

D’ailleurs, à quels jobs as-tu candidaté ? 

Dans quelques-unes des entreprises que j’ai eu l’occasion de rencontrer, là où il y avait des opportunités : ça va du magasin de jeux de société au Parlement Européen.

Quelle polyvalence ! 

Cela peut paraître un peu incohérent, en réalité ça reflète mon parcours professionnel et privé : j’ai une maîtrise en archive européenne du XXème et du XXIème siècle, mais je suis aussi fan de jeux de société.

Souvent, on a tendance à mettre le candidat dans une catégorie bien définie, à le considérer comme une pièce d’un rouage, un simple engrenage : je ne me reconnais pas là-dedans. J’ai bien conscience que je ne vais pas changer la face des méthodes de recrutement en France. Mais au-delà de simplement trouver un job, le but de ce voyage c’est de remettre un peu d’humain et de fantaisie dans ce processus, et d’aller à la rencontre des gens. 

Dans une précédente interview, tu as dit “Il y a une dissonance entre les demandes des entreprises et la rigidité des structures d’embauche”...

On entend souvent “les jeunes ne veulent plus travailler”, “on recherche une personnalité, de l’originalité”... et quand j’arrive avec quelque chose d’un peu original, comme ce voyage, je fais parfois face à beaucoup de réticence, certaines personnes deviennent tout à coup très protocolaires. 

Je pense qu’au contraire, ce voyage peut illustrer mieux que n’importe quel CV ma capacité à gérer des problèmes d’organisation, de planning. Et prouve des soft skills comme l’audace, la prise d’initiative : si à 23h30 je n’ai toujours pas de logement, il faut que je me débrouille !

Tu déplorais également une sorte de mésinformation à l’université, le fait qu’on ne parle pas aux étudiants des limites du marché de l’emploi et du peu de débouchés qui existent dans certaines filières… À l’instar de ton parcours : tu es diplômé de deux masters, mais tu te retrouves actuellement sans emploi. 

Oui, mais je tiens à préciser que j’en suis le premier responsable ! Dans le cas de mes études, on nous présentait des carrières de sociologue ou d’historien, des postes de plus en plus rares… et c’est un problème parce qu’on parle de filières qui, dans mes souvenirs, remplissent des amphis de plus de 800 places. Peut-être qu’en France, on nous pousse à faire des études… Pour faire des études. Je pense qu’on devrait consacrer davantage de temps à préparer cette phase de transition entre la fin de la fac et notre entrée sur le marché du travail. 

Ton voyage n’est pas fini, tu te trouves actuellement à Angers, c’est quoi la suite ?

Dans l’immédiat, j’ai repéré un espace de coworking, je vais me mettre devant l’entrée et distribuer mon CV. À l’heure actuelle j’ai eu trois réponses positives, mais j’ai bien précisé que je n’étais pas disponible avant septembre, je tiens à finir le voyage d’abord. Une fois rentré chez moi, je vais candidater en ligne auprès de certains employeurs que j’ai rencontrés lors de ce tour de France. L’objectif : commencer en octobre !