INTERVIEW. Raconte moi ton métier de Noël : « J’aime tellement ce que je fais que je n’ai pas l’impression de travailler »

A l’approche des fêtes, les vitrines de nombreuses boutiques se parent de leurs plus beaux décors pour célébrer Noël. Mais qui décore toutes ces vitrines ? Est-ce vraiment un métier à part entière ? Peut-on en vivre ? Si vous avez déjà croisé des artistes en plein travail, vous savez à quel point cette profession fait rêver, intrigue, étonne... tant les passants s’arrêtent pour observer et commenter. Afin d’en savoir plus sur cette profession méconnue, on a interrogé une professionnelle rennaise reconnue dans ce domaine : Géraldine Ortega.

Pour retrouver ses plus belles réalisations ou la contacter, rendez-vous sur sa page Instagram.

Hello Géraldine, peux-tu nous présenter ton métier ?

Je suis visuel merchandiser. C’est l'autre nom du métier d’étalagiste. J’imagine et conçois des décors et des vitrines pour les boutiques avec des montages, des objets, des origamis, etc. Par exemple, à chaque nouvelle saison, des opticiens ou des pharmaciens me contactent pour changer le décor de leur vitrine.

Mais mon petit plus à moi, ma spécialité, c’est de dessiner à main levée sur les vitrines. Notamment à Noël !

Qu'est-ce qui t'a poussé à choisir cette profession ?

Pendant 11 ans, j’ai moi-même tenu une boutique de décoration et d’objets de créateurs, à Rennes. Je prenais beaucoup de plaisir à décorer la vitrine de mon magasin toute seule. J’ai commencé à dessiner sur les vitres en m’inspirant de l’artiste Nathalie Lété. C’est elle qui m’a donné envie de me lancer, en observant ses dessins au pinceau, poétiques et naïfs. C'est un peu plus tard, grâce à mes voyages, notamment à Amsterdam, que j’ai découvert l’utilisation du Posca (ndlr : feutre gouache) sur les vitres. C’était il y a une dizaine d’années environ.

Lorsque j’ai fermé mon magasin, mes voisins m’ont proposé de décorer leur vitrine pour Noël. Tout a commencé comme ça. J’ai ensuite démarché des amis qui avaient des magasins ou des restaurants en leur proposant mes services gratuitement. Je démarrais et j’avais besoin de visibilité. J’ai commencé à poster sur les réseaux sociaux et ça a pris de l’ampleur. J’en suis à mon huitième Noël cette année !

Comment est-ce qu’on devient « dessinatrice de vitrines de Noël » ?

Pour ma part, c’est vraiment grâce à mon réseau. Je ne me suis dit jamais dit que j’allais dessiner sur des vitrines un jour… J’ai d’abord fait cinq ans aux Beaux-Arts de Rennes et je rêvais de faire de la publicité. Le milieu ne m’a pas du tout plu et je suis finalement devenue professeure d'arts appliqués. Actuellement, j’enseigne toujours à temps plein dans une école privée. Je fais mes vitrines le soir et le week-end, sur mon temps libre, et j’ai la chance de pouvoir décaler mes heures de novembre et décembre pour réaliser des vitrines de Noël.

A la base, je faisais exclusivement de la création de décors. J’étais et suis toujours visuel merchandiser. Je ne dessinais pas, ou très peu. Je croise souvent des gens qui me disent « oh j’aimerais bien faire comme vous, dessiner sur les vitres ! » Ce n’est pas vraiment un métier selon moi. On peut être illustrateur, artiste… mais pas « dessinateur de vitrines ». Ce « métier », j'y suis venue un peu par hasard, grâce à mon réseau et à force d’en faire encore et encore. D'ailleurs, même si j’adore dessiner et que je fais 95% de mes vitrines de Noël au Posca, si demain j’arrête le dessin, ce n’est pas un problème à mes yeux. Je suis touche-à-tout et j’aime toutes les techniques.

En revanche, pour devenir étalagiste - visuel merchandiser, il existe des formations. Notamment des Bac Pro Marchandisage visuel.

As-tu carte blanche lorsque tu réalises tes vitrines à Noël ?

Oui, la plupart du temps. Je demande juste une inspiration au commerçant pour démarrer : fleurs, flocons, animaux, bonhommes de neige, etc. Ainsi qu’une couleur : blanc, doré, rouge. Cela me permet de me renouveler. Sinon, j’ai l’impression de faire tout le temps la même chose… mais ce n’est heureusement jamais le cas ! Ma préparation avant une vitrine est assez sommaire. J’arrive en boutique avec quelques inspirations en tête et des photos Pinterest dans mon téléphone. Puis on voit sur le moment, avec le commerçant, où je peux placer quoi sur sa vitrine.

Quelles sont les contraintes de ce métier si particulier ?

Honnêtement, j’aime tellement ce que je fais que je n’ai pas l’impression de travailler. Mais je dois avouer que les conditions de travail sont parfois difficiles. Je suis en extérieur, il fait froid, il pleut (ou il neige !), je bosse de nuit, le week-end. Parfois, les conditions météos m'empêchent carrément de travailler. Mais j’adore dessiner sur les vitrines et je ne me plains jamais... Peu importe les conditions, je mets mon bonnet, ma lampe frontale et je fonce !

Ah, par ailleurs, il y a aussi les gens qui m’arrêtent toutes les deux minutes. Je ne leur en tiens pas rigueur car ils sont toujours gentils, bienveillants et me font des compliments. Mais ils me posent aussi plein de questions… et m’empêchent un peu de travailler. Parfois, je me retourne et dix personnes me regardent ! Je suis un peu intimidée dans ces moments-là. C’est une autre contrainte à laquelle on ne pense pas toujours. Je travaille en contact avec le public, dans la rue.

Comment est-ce que tu trouves tes clients ?

Je me fais démarcher ! Lorsque je décore ou dessine sur une vitrine, il y a presque toujours quelqu’un qui s’arrête et me dit : « C’est votre métier ? Parce que je suis commerçant et je cherche quelqu’un. » Sinon, tout passe par mon compte Instagram. 100% de mes commandes se font via ce biais. Mais tout le monde n’est pas sur ce réseau… Or, mon planning se remplit très vite. J’en fais des dizaines et des dizaines chaque hiver, de début novembre jusqu’à mi-décembre. Récemment, dans le quartier de la gare à Rennes, j’ai fait 17 vitrines au Posca en cinq jours !

Quelles sont les qualités pour être visuel mechandiser et/ou dessiner sur des vitrines ?

Selon moi, la qualité principale à posséder est la patience. Je suis capable de dessiner des fleurs pendant 9h pour une couronne… L’autre jour, j’ai dessiné des centaines de flocons de 14h à 22h ! Il faut aussi être un minimum créatif et curieux. Je passe beaucoup de temps à chercher des inspirations, à travers mes voyages, des expositions, sur les réseaux sociaux – mais je ne regarde jamais d’autres vitrines. Il suffit parfois d’un tableau, d’une sculpture ou d’une teinte de couleur pour m’inspirer. Sinon, je bosse, je bosse et je bosse. A Noël, je travaille pendant 6 semaines, tous les jours, de 7h à minuit. Etre bosseur est aussi une qualité très importante.

La période de Noël, c’est ton pic d’activité ?

Oui, clairement. L’été, j’essaie de lever un peu le pied en travaillant seulement une semaine en juillet et une en aout. Mais en tant qu’indépendante, les vacances, c’est du sans solde. Heureusement, j’ai de plus en plus de demandes étalées sur toute l’année. Les anniversaires des boutiques, les inaugurations, les vitrines d’automne, d’Halloween, Octobre Rose, etc. A partir du 1er septembre, tout s’enchaine jusqu’à Noël et ensuite, de janvier à juin, je redeviens professeure à temps plein.

Est-ce que tu pourrais vivre de ton activité à 100% ?

A l’heure actuelle, je pourrais. Mais je préfère garder mon activité de professeure comme filet de sécurité. Même si je suis sur une croissance exponentielle et que mon activité marche fort à Noël, je ne sais pas ce qu’il en sera l’hiver prochain !

D’autant qu’en ce moment, j’ai le sentiment de surfer sur une vague. La mode des vitrines est de mon côté mais combien de temps cela va-t-il durer ? Quand j’ai commencé il y a huit ans, je croyais que ça allait s’essouffler d’année en année. Il se trouve que j’en fais de plus en plus. Tant mieux. Je me dis aussi que je pourrais toujours être prof à 65 ans… ce qui est moins sûr pour les vitrines. Je préfère donc garder la double casquette. Cela reste une activité précaire. Je mets beaucoup de côté grâce à Noël, mais l’été je travaille peu par exemple.

Quels conseils donnerais-tu à quelqu’un qui veut se lancer ?

Le plus important selon moi, c’est trouver son identité ! De nombreuses personnes manquent terriblement d’originalité. Je reçois souvent des appels de gens qui cherchent à se reconvertir et qui pensent qu’il suffit de dessiner des champignons en automne et des fleurs en été… Je le fais aussi, bien sûr. Mais faire des vitrines ne se résume pas à ça. Il faut trouver son style et ne pas se contenter de copier ce qui se fait déjà. Il faut aussi cultiver son réseau. Se montrer, utiliser les réseaux sociaux et… être patient. J’ai mis des années avant d’avoir autant de clients.