INTERVIEW : De tailleur de pierre à éducateur spécialisé, « ma reconversion est un parcours du combattant »

Lorsque son médecin lui annonce qu'il doit abandonner la taille de pierre, un métier passion qu'il exerce depuis 25 ans, Jean-Michel Burroni se prend un « coup de massue ». Paralysé des jambes après un accident de travail, il aurait pu céder au désespoir et à l'abandon. À 46 ans, il a décidé de se forger un autre destin : celui de se relever, d'apprendre et de se réinventer. Entre sacrifices, doutes et belles rencontres, Jean-Michel Burroni nous raconte sa réorientation, semée d'embûches, de tailleur de pierre à éducateur technique spécialisé.

Vous avez exercé le métier de tailleur de pierre pendant près de 20 ans et votre accident de travail a bouleversé votre carrière. Quelles ont été vos premières pensées ?

Après l'accident, on ne comprend pas ce qui arrive. Je me suis retrouvé totalement paralysé des jambes. Quand j'ai passé un scanner, ça a été le coup de massue : le médecin m'a dit droit dans les yeux qu'il fallait que je change de métier. C'était un métier de passion, je ne voulais pas du tout arrêter. Mais qu'est-ce que j’allais faire maintenant ? Est-ce que je me laissais tomber ou est-ce que je me prenais en main ? J'ai choisi d'aller de l'avant.

Vous décidez de ne pas vous laisser abattre. Quelles ont été les étapes qui ont suivi ? Comment avez-vous entamé votre reconversion ? Comment avez-vous trouvé votre voie ?

J'ai rencontré un assistant de la Sécurité sociale. C'était une personne fabuleuse, pleine de ressources. Elle m'a expliqué le parcours que j'allais devoir entreprendre et la demande de RQTH (Reconnaissance de la Qualité de Travailleur Handicapé). Parallèlement, j'ai mis en place une PSOP (Prestation Spécifique d'Orientation Professionnelle). C'est un bilan de compétences pour les personnes avec une RQTH. Mon côté artistique et social est ressorti. Inconsciemment, je le savais, mais cette évaluation a mis en lumière ces qualités.

On m'a donc proposé des stages dans des métiers en lien avec ces compétences, toujours encadrés par la Sécurité sociale. Mes deux premiers stages ne m'ont pas du tout plu, mais le troisième a été le coup de cœur. J'ai passé trois jours à l'ITEP (Institut thérapeutique, éducatif et pédagogique). C'était une révélation. J'ai compris que la taille de pierre était finie pour moi, mais que ce n'était pas une fin en soi, c'était une continuité. Je voulais transmettre mon savoir-être et mon savoir-faire, à ces jeunes en difficulté, à des personnes qui en ont besoin. Je me suis donc lancé dans cette voie, celle d'éducateur technique spécialisé.

La formation et l'apprentissage ont été une étape clé pour vous. C'était indispensable pour réussir votre réorientation ? Retourner en formation après tant d'années, ça ne vous a pas fait peur ?

Oui, bien sûr. J'ai d'abord fait une préformation avec le dispositif OASISS Handicap (Orientation Accompagnement vers le secteur sanitaire et social Handicap) pendant six mois pour découvrir les métiers du médico-social. Elle regroupait des cours et trois stages, ce qui permettait de créer son réseau. J'étais motivé, mais j'avais peur.

Les trois premières semaines étaient très lourdes, j'avais plus de sept heures de cours en amphithéâtre par jour. Je me suis demandé si j'étais dans la bonne formation. En fait, le terrain, l'expérience et la pratique sont arrivés par la suite. Après cette préformation, je suis parti à l'Institut du Travail Social (ITS) pendant trois ans. J'ai fait une demande de financement à Transition Pro, avec un maintien de salaire de mon ancien employeur. Mais ça ne s'est pas passé comme prévu.

Justement, quelles sont les difficultés que vous avez rencontrées ? Quels ont été vos doutes et vos interrogations ?

Malgré un dossier béton, ma demande a été refusée, car ils n'avaient pas de garantie que j'aille au bout de ma formation. Encore un coup de massue. Je ne me suis pas découragé, j'ai fait un recours, qui a fonctionné et je suis rentré à l'ITS. Mon parcours a été jalonné de belles rencontres : mon ex-femme m'a épaulé, la Sécurité sociale a toujours été là, les formateurs, Transition Pro, etc. Mon chemin s'est éclairé grâce à eux. Mes proches étaient dans l'admiration, du fait que je reprenne les études. Il n'y a eu aucun jugement, juste un peu de pitié et de peine pour moi.

Évidemment, c'est normal d'avoir le contre-coup et la nostalgie de temps en temps, mais il ne fallait pas baisser les bras. Je n'avais rien à perdre ! J'ai eu la chance d'avoir un maintien de salaire grâce à mon arrêt de travail aussi, donc c'était maintenant ou jamais. C'est un parcours du combattant, mais ce n'est pas impossible. Il faut s'accrocher et donner de sa personne. C'est aussi des sacrifices vis-à-vis de ma famille, de mes enfants par exemple. Tout le monde peut le faire, c'est une question de volonté et de rencontres.

Qu'est-ce qui vous a poussé à ne jamais abandonner ? Quelles compétences ou qualités personnelles avez-vous découvertes ?

J'ai réussi à retrouver un métier passion. J'étais en mouvement et il n'y avait pas un seul instant de temps mort. Quelles sont les compétences que j'ai mises en place ? La persévérance et la responsabilité. J'avais ma famille, des crédits, je ne pouvais pas me permettre de baisser les bras. J'ai eu la chance de transférer certaines compétences de mon ancien métier à mon nouveau, comme la transmission de savoir et l'empathie. Ça m'a aidé dans le sens où j'ai pu me concentrer sur mes lacunes, le médico-social par exemple.

Qu'est-ce que vous retenez de cette réorientation ? Vous avez réussi à transformer une épreuve difficile de la vie en une expérience positive. Vous êtes plus heureux qu'avant ?

C'est une réorientation forcée, mais c'était un vrai choix de métier. Les choses n'arrivent pas sans raison. Si je n'avais pas eu cet accident, peut-être que j'aurais tiré sur la corde et que je serais en fauteuil roulant. C'était le moment pour moi de changer de chemin, j'en suis très très heureux et je ne le regrette absolument pas. Je suis fier de moi. Gagner le trophée de la reconversion suite à un souci de santé ou un handicap, délivré par Nouvelle Vie Pro, c'est une reconnaissance de mon parcours, même si je n'ai pas besoin d'une récompense pour ça. La plus belle valorisation, c'est maintenant, c'est de savoir que mon histoire peut aider des gens. C'est super, je suis très content.

Quel est le message ou le conseil que vous aimeriez transmettre à ceux qui envisagent une reconversion professionnelle ?

Il faut s'écouter, croire en soi, et se lancer à fond. Vous allez avoir peur, mais à un moment donné, on touche le sol, et ça le fait.