Comment être éloquent lors d'un entretien d'embauche ?

L’entretien d’embauche est un moment particulièrement stressant pour de nombreux candidats. Pourquoi ? Car, au-delà du contexte et de la nature de l’échange, la prise de parole en public est un exercice que l’on pratique peu en France… et qu’une majorité d’entre nous maitrisons d’ailleurs plutôt mal.

Pour vous aider à mieux appréhender cet exercice, nous avons demandé ses conseils à un spécialiste du sujet en la personne de Stéphane André. Depuis plus de 50 ans, ce disciple de Louis Jouvet, Peter Brook ou Stanislavski aide toutes les personnes qui le souhaitent à progresser dans leur prise de parole en public au sein des entreprises, du monde associatif ou politique. Une longue expérience qui lui a permis de mettre au point une technique unique pour apprendre à maîtriser l’art de la prise de parole en public, qu’il enseigne et transmet au sein de l’Ecole de l’Art Oratoire, dont il est le fondateur.

Si Stéphane André a gentiment accepté de nous livrer quelques conseils, n’hésitez pas à venir profiter pleinement de son savoir-faire et de son expérience lors de la masterclass mensuelle des professeurs dispensée dans les locaux de l’Ecole de l’Art Oratoire, gratuite et ouverte à tous.

Rassurez votre public et offrez-lui un « confort d’écoute » !

L’art oratoire, c’est bon pour les avocats et les politiques… mais c’est inutile pour un entretien d’embauche. Si c’est ce que vous pensez, détrompez-vous ! C’est en fait une « situation typique d’art oratoire » précise Stéphane André : « Entretien, exposé, réunion… Tout ça, c’est de l’art oratoire. A partir du moment où je tiens une parole professionnelle, c’est de l’art oratoire, car j’ai un public face à moi. L’autre est toujours un public. »

Un entretien d’embauche implique ainsi la partie active de cet art ancestral, à savoir l’éloquence. Et pour être éloquent face à un recruteur, il faut d’abord veiller à lui faciliter la vie conseille notre expert, comme pour n’importe quel public ! « C’est vrai depuis Quintilien : on ne demande pas un effort à un public, on lui offre au contraire un confort d’écoute. Dès que ça commence à être compliqué, un public décroche. D’autant que le ‘public-recruteur’ est anxieux. S’il commet une erreur de recrutement, cela peut coûter cher. Il faut lui proposer une parole qui le sécurise. Il faut donc que le recruteur ressente qu’on a bien lu et compris l’offre d’emploi, qu’il se dise ‘je ne cherche pas ailleurs, je le vois déjà occuper le poste’. »

Mais pour le rassurer sur vos capacités tout en vous montrant éloquent, le mieux est encore de vous intéresser à lui avec sincérité, de partir à sa rencontre et d’être « vrai », explique le fondateur de l’Ecole de l’art oratoire.

Parler en public ne consiste pas à dire ce qu’on a prévu de dire mais à aller au-delà grâce au public

Stéphane André

Pour ce faire, oubliez les exercices à pratiquer ou les astuces à utiliser – « qui n’en seraient que plus artificielles » -, comprenez bien le poste auquel vous postulez et sachez quoi en dire : « Arrêtez d’angoisser à propos de tel ou tel geste soi-disant mal vu. Ne rédigez pas non plus un discours dont vous seriez esclave. On ne peut pas tout préparer, tout prévoir, on n’est pas tout puissant sur l’autre… qu’il s’agisse d’un recruteur, d’une classe, d’un public de conférence. Il faut aimer le public, disait Jouvet. L’aimer, c’est d’abord s’y intéresser. Ne s’intéresser qu’à soi, c’est l’inverse de l’art oratoire. C’est le public auquel vous parlez qui doit vous guider. »

Vous ne savez pas comment vous tenir ? Vous manquez de confiance ? Vous craignez d’ennuyer le recruteur ? Tous les orateurs débutants en passent par là. « La confiance en soi est un bobard », martèle Stéphane André : « Ne cherchez pas la confiance en vous, décidez la confiance en l’autre. Oubliez-vous et réglez votre action sur la personne en face de vous ! » D’autant qu’en engageant un dialogue sincère avec le recruteur, vous adopterez naturellement la meilleure posture physique.

« Si vous vous intéressez à l’autre sincèrement, vous vous redresserez instinctivement. Vous ne devez pas faire attention à vos gestes. C’est comme au tennis : regard, dos droit, bons appuis. Et le mouvement part tout seul. La pensée n’est pas un appui. Au moment où j’entre dans la pièce, la pensée devient un mouvement. Le mouvement de la pensée doit être naturel, comme le geste. »

« Le recruteur m’arrêtera ensuite quand je parle, ou non. Je vais calibrer mes répliques sur lui. Mon regard doit s’y intéresser et intuitivement je saurai quoi lui répondre et à quel moment terminer. Si vous réfléchissez trop pendant que vous parlez, vous risquez de l’insécuriser. Parler en public ne consiste pas à dire ce qu’on a prévu de dire mais à aller au-delà grâce au public. »

Comment incarner le candidat idéal ? « Je ne vends pas ma personne, mais la conception de ma fonction »

Dans l’art oratoire en général, et dans le cadre d’un entretien d’embauche en particulier, la notion de personnage est centrale estime Stéphane André : « Votre but est que le recruteur dise de vous : ‘je le vois déjà occuper le poste, il le tient’. Ça veut dire que le candidat doit apparaître comme celui qui incarne ce poste. C’est comme un personnage ! Voilà ce que cherche le recruteur, un personnage… ‘Il est le manager que j’attends, il incarne la fonction’. Cette forme de théâtralité, c’est toute la technique de l’art oratoire !

Ce serait donc cela, savoir se vendre ? « Non, personne n’est à vendre. Ce que le recruteur veut voir, ce n’est pas ma personne, c’est moi tenant ma fonction avec mon style, ma façon de parler. Je ne vends pas ma personne, mais la conception de ma fonction. S’il me voit parler du poste de façon crédible, il m’engage, peu importe ma personne ! Tous les styles sont intéressants. Que vous soyez discret ou tonitruant, peu importe, chacun son style, c’est toujours intéressant. »

De l'importance du regard

Vous devez avant tout maitriser votre regard : « Le recruteur y sera très sensible, comme n’importe quel public. Mais attention, on entend souvent qu’il faut regarder l’autre dans les yeux. Or, on peut avoir un regard bovin, ça peut être odieux pour l’autre… Ce qui est fondamental est l’intention du regard, c’est un regard d’intérêt décidé pour le recruteur. »

« Le fameux conseil ‘Tiens-toi droit’ n’est pas bon, faites attention ! La posture verticale est recommandée, mais attention à la rigidité ou la raideur… La bonne verticalité, c’est d’être tonique, pas rigide… et elle s’obtient pas le regard d’intérêt que l’on porte sur le recruteur ! De l’entraînement est nécessaire mais retenez bien ça : la posture verticale sans le regard est toujours artificielle.

Tout le monde peut progresser avec du travail. Ce qui est rassurant pour vous, c’est que le niveau global des orateurs français est moyen donc vous pouvez vite vous distinguer de la masse… »