Amazon, Ubisoft : est-ce vraiment la fin du télétravail ?

C’est une tendance qui semble se dessiner de plus en plus clairement ces dernières semaines, comme si l’annonce de la suppression du télétravail chez Amazon avait décidé toutes les grandes entreprises à emboîter le pas au mastodonte américain. « On va revenir au monde d'avant. », avait alors annoncé le PDG Andy Jassy, avant de rappeler 300 000 employés au bureau 5 jours sur 5. Une décision lourde de conséquences sur le bien-être des salariés et sur l’attractivité de l’entreprise, qui va à rebours de ce que beaucoup pensaient acquis après la crise du Covid. 

Justement, va-t-on revenir au « monde d’avant », à l’ère pré-pandémie ? Pourquoi revenir sur ce qui était annoncé comme une révolution du rapport au travail ? Va-t-on vers une suppression pure et simple ou juste une régulation des pratiques ?  

France / US : deux contextes différents

En France, le remote concerne 36% des actifs, soit quatre points de moins qu’aux États-Unis, selon une étude de WFH Research. Autre différence entre les deux pays : les entreprises américaines de la tech qui rétropédalent totalement sur le télétravail sont les mêmes à avoir proposé des postes 100% remote à leurs employés, à l’image d’Amazon.

En France, le modèle le plus courant est celui des formules hybrides : de un à trois jours de télétravail par semaine. Si ce nombre de jours semble se réduire depuis 2021 à la demande des entreprises (il est passé de 2,3 à 1,5 en trois ans, selon le cabinet McKinsey), ces dernières n’envisagent pas pour autant de supprimer cette nouvelle organisation du travail, mais plutôt de la « réguler » : concrètement, passer de 3 à 2 jours de remote par semaine.

Isabelle Gire, responsable de la prospective à l’Apec, explique : « Ce qui se passe chez Amazon, c’est propre aux États-Unis. Selon nos études, on n’assiste pas à un rétropédalage sur le télétravail, en tout cas pas en France. »

Un nouvel acquis social ?

Autre différence entre les deux pays : contrairement aux USA, le télétravail a fait l’objet en France d’accords entre syndicats et entreprises, ce qui le rend bien plus difficile à détricoter. Ainsi, la suppression totale du télétravail est désormais effective chez Amazon… Sauf pour les employés français, protégés par un accord signé entre la direction et les organisations syndicales. À noter que lesdits accords ont une durée de vie d’en moyenne 3 ans, et ont été négociés en 2021. La plupart vont donc être renégociés dans les mois qui viennent !

Selon une étude de l’Apec (Association pour l’emploi des cadres) publiée en mars 2023, un cadre sur deux serait tenté de démissionner en cas de suppression totale du télétravail. Une tendance que l’on retrouve aux États Unis, où il se dit que la décision choc d’Amazon pourrait être en réalité un plan social déguisé : c’est par exemple ce qu’a affirmé l’économiste de Stanford Nicholas Bloom à Business Insider au début du mois d'octobre : « Amazon a vraisemblablement estimé qu'il valait mieux contrôler les coûts en réduisant les effectifs, quitte à subir un impact sur la technologie et l'innovation ». En clair : Amazon saurait probablement que cette nouvelle politique poussera les travailleurs mécontents à partir, et s’économiserait de longs processus de licenciement. 

La grève qui sévit actuellement chez Ubisoft, où les employés demandent un maintien du télétravail intégral, est peut-être l’un des premiers exemples de mouvement social à défendre spécifiquement ce droit en France. Ce qui laisse penser que le télétravail pourrait faire partie des revendications sociales à l’avenir, pour le tiers des français qui sont concernés.

Retourner au bureau… Oui, mais pourquoi ?

Des voix s’élèvent contre cette tendance, et pas des moindres : en février 2021, Spotify a rejoint plusieurs autres gros calibres du monde de la tech en permettant à ses employés de là où bon leur semblait. Une décision sur laquelle l’entreprise suédoise n’a pas l’air de vouloir revenir en 2024 : « Nous sommes une entreprise qui est née dans le numérique, alors pourquoi ne devrions-nous pas donner à nos employés flexibilité et liberté ? », annonçait la DRH de Spotify le 8 octobre dernier, avant d’ajouter « ​​On ne peut pas passer beaucoup de temps à embaucher des adultes pour ensuite les traiter comme des enfants » et de poser la question existentielle : « Le travail n'est pas un endroit où l'on vient, c'est quelque chose que l'on fait. ». 

« Une des questions que pose le télétravail, c’est le collectif en entreprise. », explique Isabelle Gire. « Revenir au bureau, ok, mais pour quoi faire ? Il faut qu’il y ait un objectif, si c’est pour avoir des réunions sur Teams avec d’autres collègues, ça ne sert à rien. C'est un vrai enjeu pour les entreprises : comment réenchanter, réanimer le déplacement au bureau ? »