Depuis quand fait-on des pauses-café au travail ?

Pour nombre de salariés à travers la planète, il serait bien difficile d’imaginer un monde où cet élixir de vitalité ne rythmerait plus leurs journées de boulot. Qu’on l’encense ou l’exècre, le qahwa a nourri l’imaginaire collectif autour de la vie en entreprise et participe depuis de nombreuses décennies à la sociabilité des équipes. Depuis quand, au fait ? Brève histoire du café au travail, des hauts plateaux éthiopiens à votre salle de pause. 

Une longue histoire, de l’Abyssinie... 

Deux mille ans avant notre ère, des caféiers poussaient à l’état sauvage en Ethiopie, dans la province de Kaffa. Probablement consommé depuis la Préhistoire, le café a depuis connu une longue (et controversée) histoire. La légende attribue la découverte du café, vers 850, à un berger abyssin nommé Kaldi. Ce dernier aurait observé l’excitation de ses chèvres après qu'elles aient brouté les baies rouges d’un arbuste. Il aurait relaté ce phénomène à des moines soufis qui auraient eu l’idée d’en faire bouillir les noyaux. La décoction obtenue est baptisée k’hawah.  

Vers la fin du XVe siècle, le café atteint le Yémen voisin grâce à ses relations commerciales et culturelles avec l’Abyssinie, ancien Empire éthiopien. Il y est ensuite domestiqué et cultivé sous l’Empire ottoman puis, plus tard, exporté par le port de Mokha (Moka). La consommation de café prend alors son essor dans tout le monde arabo-musulman. Les premiers établissements spécialisés voient le jour, au XVIe siècle, en Egypte et dans la région de La Mecque.  

... aux troquets français 

C’est à la même période que des commerçants vénitiens introduisent le café en Europe. Quelques années plus tard, la boisson se répand chez les moines, les commerçants, puis auprès du peuple italien. Au même moment, l’Empire ottoman perd le monopole de la production de café. Les Hollandais introduisent des plantations en Europe, en Asie et aux Antilles. En France, une cargaison de café est importée, pour la première fois en 1644, à Marseille. Le premier café français voit le jour dans la cité phocéenne en 1671. 

En France, les cafés deviennent, dès le XVIIIe siècle, des lieux importants de sociabilité et jouent un rôle clé dans la diffusion des idées des Lumières. Dans Les Confessions, Jean-Jacques Rousseau relatait notamment l’habitude de Voltaire de boire quotidiennement 40 tasses de café (on vous conseille de ne pas en faire autant). Avec l’intensification de son commerce dans les décennies suivantes, le café n’est pas resté l’apanage des nobles et des bourgeois. En 1900, on comptait plus de 500 000 cafés en France. En 2018, ils n’étaient plus que 38 800 selon les chiffres de l’Insee et France Boisson. Pourtant, le café reste la boisson chaude la plus consommée par les Français âgés de 18 ans et plus (77%), selon une étude menée par l’Ifop pour Lemeilleurcafé.fr, en 2022. Dans les bistrots, à la maison ou au travail, il a donc conquis le cœur des Français. Mais depuis quand s'est-il imposé au travail ? 

Give yourself une pause-café ! 

Aux Etats-Unis, la naissance du coffee break serait liée à l’adoption dès les années 1900, par de nombreuses usines, de la journée de 8h de travail, rapporte le média Bloomberg. A mesure du gain d’influence des syndicats, les pauses obligatoires sont devenues la norme. Nombre d’ouvriers l’utilisent dès lors pour siroter des tasses de café agrémentées de crème et de sucre.  

Bien avant le développement des chaînes de cafés à emporter, les Américains pouvaient se rendre auprès de stands dédiés au coin des rues. Les premiers distributeurs connaissent de même un essor considérable dès la première moitié du siècle dernier. En quelques décennies, la pause-café serait devenue un véritable rituel sur les lieux de travail américains. Si bien que des journalistes de l’époque notaient l’adoption par la culture corporate américaine de la tradition domestique allemande du kaffeeklatsch : échanger des ragots devant une tasse de café.  

Dès les années 1950, le café souffre pourtant d’une image trop populaire. Les industriels du café, réunis au sein du Pan American Coffee Bureau lancent une vaste campagne publicitaire dans laquelle on retrouve un certain John Wayne. Son slogan ? « Give Yourself a Coffee Break ». Il semblerait que cela ait fonctionné ! 

Les machines à café : une question de santé publique 

De l’autre côté de l’Atlantique, en France, les avancées des droits des travailleurs permettent aux salariés français d’investir progressivement les cafés au cours du XXe siècle. Le hic ? Ils n’y consomment pas seulement... du café.  

Dès les années 1950, les premières machines et distributeurs du breuvage noir fleurissent dans les entreprises françaises pour des raisons de santé publique. Comme le rappel l’Ina dans la vidéo ci-dessous, il n’était pas rare que les Français consomment de l’alcool sur leur temps de travail, au bureau comme sur les chantiers. En 1961, l’Institut national de sécurité estimait à 15% les accidents graves du travail causés par l’alcool. La sacro-sainte pause-café est née. 

« Ça va bien faire c**** la direction ! » 

Quelques décennies plus tard, ce rituel s'invite dans la pop culture, avec la série Pause Café, diffusée de 1981 à 1989. L’actrice Véronique Jannot y interprète une jeune assistante sociale réconfortant des lycéens en difficulté.  

Au début des années 2000, les Français découvrent la série désormais culte, Caméra Café. Pendant 570 épisodes de 3 minutes, les téléspectateurs suivent les aventures d’Hervé, Jean-Claude, Sylvain ou encore Nancy, devant le distributeur de boissons chaudes. Chemisettes et cravates kitsch sont au rendez-vous dans ces formats courts, tout comme des situations pas si clichées sur le monde du travail. Le succès est tel que le concept de la série est repris dans une vingtaine de pays dont l’Irlande, la Jordanie, le Brésil ou encore le Cambodge. 

Un sacro-saint rituel entre collègues  

Elevé au rang d’un véritable rituel, la pause-café s’exerce devant un distributeur ou muni d’un thermos, dans une salle de pause, sur le terrain ou en télétravail. Elle s’apprécie solo comme en équipe.  

Une étude menée par l’Ifop pour Carte Noire en 2018, relevait que près de neuf salariés sur dix (89%) s’autorisent un moment de répit dans leur journée, autour d’une boisson chaude (café, thé, chocolat, etc.). A la même période, 92% des entreprises étaient équipée en ce sens.

A noter également que seuls un tiers des répondants déclaraient prendre leur pause seul, dont davantage de salariés de plus de 50 ans (40%). Pour une majorité, la pause-café est de même perçue comme essentielle à l’intégration : 88% estiment qu’elle est l’occasion d’échanger avec ses collègues pour se détendre et parler de sujets autres que le travail et pour 67%, elle est indispensable à l'intégration au sein d’une équipe. Enfin, 33% des répondants ont admis y avoir obtenu des informations croustillantes sur leurs collègues ou les autres collaborateurs. Nul doute que ce rituel devrait perdurer malgré les nouvelles formes de travail développées depuis la pandémie. L'année passée, on vous parlait même d'un nouveau terme inventé par le magazine Forbes : le coffee badging. Alors, un p’tit café ?