Techniciens : « Tout le monde se les arrache et il y a de moins en moins de jeunes diplômés »

On peut difficilement passer à côté, les profils de techniciens s’arrachent dans tous les secteurs de l’industrie. Décryptage avec Tanguy Prigent, directeur de la division ingénieurs & techniciens chez Page Personnel, d’une tendance qui ne devrait pas s’amenuiser dans les prochaines années.

Premier signal positif, le marché de l’emploi dans l’industrie est très dynamique selon Tanguy Prigent, malgré un fléchissement de l’économie française. « On peut l’expliquer par des éléments à la fois conjoncturels et structurels, pointe-t-il. Conjoncturellement d’abord : « Depuis quelques années, l’orientation politique vise à réindustrialiser la France : 57 sites industriels ont été ouverts en 2023. Des usines sortent de terre et il faut donc les peupler d’ingénieurs et de techniciens. Mécaniquement, cela crée de l’emploi. Nos fleurons industriels que sont les industries aéronautiques, la défense, l’industrie pharmaceutique, le luxe, la cosmétique vivent bien et portent un nombre important de recrutements. Ces industries ont des carnets de commandes conséquents et sur plusieurs années pour l’aéronautique et la défense, notamment », illustre Tanguy.

Tanguy Prigent

Directeur de la division ingénieurs et techniciens chez Page Personnel

Un renouveau industriel qui fait néanmoins face à une vague de départs à la retraite. « La main d’œuvre est vieillissante et la pyramide des âges est complètement déséquilibrée, notamment chez les techniciens. Le phénomène s’est enclenché il y a déjà quelques années mais s’accentue aujourd’hui. Dans l’industrie au sens large, on estime entre 800 000 et 900 000 les départs dans les dix prochaines années », continue Tanguy. Un retrait accentué par une pénurie de candidats. « Pendant longtemps, les filières techniques n’ont pas forcément été promues à l’école et c’est pourquoi on manque cruellement, aujourd’hui, d’ajusteurs-monteurs, de tourneurs-fraiseurs, par exemple. Dans les années 1970, on a pensé à tort que les Cols Bleus ne seraient plus, avec l’automatisation des usines. Or, désormais, on redécouvre l’importance de ces profils alors qu’on n’a pas suffisamment créé de vocations », retrace-t-il. Un déséquilibre de l’offre et de la demande conséquent et qui a mené à près de 60 000 postes non pourvus actuellement.

« Les techniciens sont très sollicités »

Depuis 50 ans, l’industrie évolue perpétuellement et ses métiers avec elle. « Le métier de technicien a changé parce que les industries se sont robotisées. Mais derrière les robots, les techniciens paramètrent et font fonctionner ces équipements, ces lignes automatisées. Les techniciens de maintenance doivent… les maintenir ! Le technicien a toujours un rôle important à jouer et il reste une force vive du fonctionnement de l’outil de production », soutient Tanguy.

Des salariés précieux, que les entreprises se démènent pour embaucher et fidéliser. « Il faut se réinventer en tant qu’employeur. Les techniciens qu’on recrutait il y a encore trois ans et qui cochaient toutes les cases, n’existent tout simplement plus sur le marché. Face à cette pénurie, nos clients sont obligés de faire confiance à des techniciens qui n’ont pas forcément toutes les compétences mais qu’ils vont former et amener vers celles qu’ils souhaitent. C’est un moyen important de les fidéliser », explique-t-il.

Cette forte pénurie est confortée par une inflation des rémunérations qui fait jouer la concurrence, souligne l’expert : « Les techniciens sont très sollicités et par conséquent, ils peuvent quitter plus facilement leur entreprise parce qu’on leur propose une meilleure rémunération ou une évolution qu’ils ne peuvent obtenir dans leur entreprise actuelle. »

« Les attentes des techniciens évoluent avec l’âge »

Dans l’industrie, tous les métiers sont recherchés, que ce soit en maintenance, en production, en qualité et HSE (hygiène, sécurité et environnement) ainsi qu’en SAV (service après-vente). Page Personnel a ainsi élaboré un top 5 des profils techniciens les plus prisés :

• Technicien de maintenance
• Technicien SAV itinérant
• Technicien/opérateur de production
• Animateur HSE
• Technicien qualité

Le technicien de maintenance, licorne des entreprises du secteur industriel ? « C’est une population très vieillissante et beaucoup de départs à la retraite sont à combler. Tout le monde se les arrache et il y a de moins en moins de jeunes diplômés. En parallèle, on a une population plus jeune qui arrive sur le marché avec des attentes différentes », commente Tanguy. Horaires décalés, horaires de nuit, itinérance et découchage pour certains, les techniciens ont aujourd’hui le choix des armes quant à leur rémunération et demandent un meilleur équilibre vie pro/vie perso. « Les techniciens que nous avons interrogés pour notre étude * estiment que les primes allouées à ces contraintes ne sont pas assez valorisées », explique-t-il.

Ces attentes sont, en grande partie, intrinsèques à chaque génération. « Elles évoluent avec l’âge, c’est-à-dire qu’un technicien peu expérimenté, avec 0 à 10 ans d’expérience, cherche à faire évoluer sa rémunération et ses compétences. L’équilibre vie pro/vie perso arrive plus loin dans ses attentes, car il n’a pas encore de contraintes familiales. Sur la tranche 11 à 20 ans d’expérience, la rémunération reste un critère toujours très important mais là, le technicien cherche un environnement de travail épanouissant, un management bienveillant et un plus fort équilibre vie pro/vie perso. Il souhaite également donner du sens à ses missions, des perspectives d’évolution. Enfin, quand on passe la tranche des 20 ans d’expérience, le technicien atteint un plateau de verre en termes de compétences et de rémunération. Là, c’est l’environnement de travail qui lui importe le plus », détaille Tanguy.

« La rémunération évolue de concert avec le développement des compétences »

Ce technicien, qui est-il ? Un homme, dans 77% des cas, selon l’étude de Page Personnel. « L’industrie est encore un monde, malheureusement, très masculin. L’équilibre de genre n’y est pas encore, déplore Tanguy. Le technicien a un bagage technique et a suivi un bac pro au minimum, un BTS ou un DUT en électrotechnique, maintenance industrielle, automatisme, électronique etc. On beaucoup de profils en maintenance et en production. »

Le technicien possède de nombreuses perspectives d’évolution. « Dans l’industrie, vu qu’on est en manque de ressources, c’est très ouvert ! Un jeune diplômé aura une formation assez théorique et il développera ses compétences, de manière empirique, sur le terrain. C’est pour cela que, dans les entreprises, la rémunération évolue de concert avec le développement des compétences », appuie Tanguy. En fonction de ses envies de responsabilités, il pourra aussi évoluer vers des fonctions de management « sur des postes de chef d’équipe ou bénéficier de passerelles sur des équivalences de diplôme d’ingénieur. »

Dans l’optique de fidéliser leurs techniciens, les entreprises n’hésitent plus à proposer des contrats en CDI. Or, Tanguy conseille tout de même à certains de commencer par des contrats d’intérim. « C’est un bon moyen, pour les techniciens, d’évoluer dans un environnement qu’ils ne connaissent pas, de s’acclimater à un poste techniquement différent, par exemple. »

« Les entreprises cherchent des candidats motivés »

Quel avenir se dessine-t-il pour les techniciens ? « Radieux ! répond Tanguy. S’ils sont ouverts en termes de mobilité géographique, ils trouveront un poste sans difficulté. » En position de force sur le marché, les techniciens doivent cependant veiller à la mise en avant de leur savoir-être ou soft-skills. « Les entreprises forment sur les compétences techniques. En revanche, elles cherchent des candidats motivés, avec un bon esprit d’équipe, proactifs, curieux et qui s’inscrivent dans la durée. On ne forme pas quelqu’un dont on pense qu’il partira dans six mois ! » insiste-t-il.

Afin de bien présenter leurs softs skills et leur parcours, Tanguy conseille aux candidats de faire appel à des experts du recrutement lors de leur recherche d’emploi. « Les techniciens ne sont pas des commerciaux ou ne travaillent pas dans le marketing. Leur valeur, c’est la technique ! Du coup, ils n’ont pas tout le temps les codes de l’entretien. En passant par un cabinet, ils seront conseillés par des professionnels, qui leur permettront d’être plus à l’aise et performants lors des entretiens », ajoute-t-il. Et de conclure : « Il y a parfois des envolées de rémunération. Il est important de ne pas se survendre. Passer par un cabinet, cela permet aussi de prendre conscience des rémunérations du marché. »

* Etude menée auprès de 500 candidats de Page Personnel, en recherche d’emploi ou non, dans le cadre de la préparation de l’e-book « Attirer, recruter et fidéliser les techniciens ».