Loi de Pareto : Histoire et méthode du principe du 80-20

Selon les plus grands experts de la mode (sic), nous ne portons que 20% de notre garde-robe 80% du temps. Etrange, non ? Dans la plupart des entreprises, 20% des clients génèrent 80% du chiffre d’affaires sur une année. Bizarre... Dans chaque magasin ou presque, 20% des produits présents en rayon seraient à l’origine de 80% des ventes ? Etonnant !

Vous l’aurez compris à travers ces exemples (rendez-vous en fin d'article pour encore plus de faits amusants), le principe, loi ou règle de Pareto dont nous allons vous parler a un autre nom évocateur : le principe du 80/20. D’où vient cette drôle de loi ? Qui était monsieur Pareto ? A quoi sert son principe et comment l’utiliser dans son travail pour gagner en productivité ? Découvrez l’histoire du principe de Pareto, de ses origines à nos jours.

@helloworkcom À quoi peut bien vous servir la loi de Pareto dans votre #travail ? 😉 #loi #Pareto #methode #hellowork ♬ son original - Hellowork

Qu’est-ce que la loi de Pareto (et d'où ça vient) ?

Il était une fois un potager

La loi de Pareto doit son nom à un économiste italien de la fin du 19e siècle : Vilfredo Pareto. Selon la légende, son intuition du principe du 80/20 prend d’abord naissance… dans son jardin. Un beau jour, qu’on imagine chaud et propice à la rêverie, il remarque que 80% des petits pois qu’il vient de récolter sont issus de seulement 20% des plants présents dans son potager.

Vilfredo met immédiatement à profit sa découverte. Puisque c’est comme ça, autant se concentrer en priorité sur les plants les plus productifs. Dorénavant, il consacrera d’abord 20% de son travail et de son temps à récolter les petits pois de ces fameux plants, ceux qui fournissent la très large majorité des légumes ramassés. Un peu flemmard notre cher Vilfredo ? Malin, surtout. Que ceux qui n’ont jamais passé des heures de travail dans un potager lui jette la première pierre. Quitte à fournir des efforts, autant concentrer ses ressources et son travail de façon intelligente pour maximiser son temps.

En réfléchissant une deuxième fois à son histoire de pourcentage, cet homme très occupé (rappelons qu’il est tout de même économiste…) en arrive à une autre conclusion, aussi lumineuse que la première : une fois ce premier temps de récolte terminé, il lui serait tout aussi rentable de cesser totalement la récolte des petits pois. Car, en suivant son raisonnement jusqu’au bout, 80% de travail supplémentaire ne lui offrirait que 20% de légumes en plus ! Alors, à quoi bon ? Autant se cantonner à sa répartition 80/20. Stratégique et efficace.

De cette observation anodine, Vilfredo Pareto va en tirer quelques années plus tard une méthode statistique pour ses travaux scientifiques. En 1896, alors professeur à l’université de Lausanne, l’Italien analyse les données fiscales de plusieurs pays européens à différentes époques, dont l’Angleterre, la France, l’Italie, la Russie ou encore la Suisse. Dans chacun de ces pays, bien que les niveaux d’inégalités ne soient pas les mêmes, les courbes de répartition des richesses semblaient toujours répondre à un même principe. Comme par magie, elles avaient une forme similaire : une cloche. Par exemple, en Italie, environ 80% des terres et des ressources étaient dans les mains d’à peu près 20% de la population (le haut de la cloche). En Angleterre, la répartition suivait plutôt un pourcentage de 72%/28%. Dans les autres pays ? Toujours la même cloche et à peu près la même proportion : 80/20.

80/20 ? Une révélation pour notre économiste ! En bon jardinier et amateur de petits pois, Vilfredo Pareto ne connaissait que trop bien ce principe magique… Ainsi naquit la loi mathématique dite de Pareto : une célèbre formule de probabilité qui, passant à la postérité, continue de torturer encore aujourd’hui les étudiants férus de maths appliquées et d’économie – et qu’on ne reproduira pas ici par respect pour les personnes allergiques aux mathématiques (et aussi parce qu’on est nuls en calcul).

Born in USA : le principe de Pareto à la conquête du monde

Si Vilfredo Pareto a donné son nom au principe du 80/20, la loi de Pareto appliquée au monde du travail telle qu’on la connaît aujourd’hui est née quelques dizaines d’années plus tard aux Etats-Unis, conceptualisée par un certain Joseph Juran. Ingénieur de formation et universitaire, cet Américain d’origine roumaine est considéré comme l’un des pères fondateurs de la « démarche qualité » moderne. Il est le créateur de nombreux concepts, outils et méthodes de contrôle de la qualité encore utilisés par les entreprises aujourd’hui.

En 1924, le jeune Dr Juran vient d’obtenir son diplôme d’ingénierie électrique et décroche son premier job dans l’entreprise Western Electric’s Hawthorne Works, qui deviendra plus tard AT&T, au service « Contrôle de qualité » de l’usine dans laquelle il travaille. Son rôle ? S’assurer qu’aucune pièce défectueuse ne sorte de l’usine et prévenir le moindre problème de production. Aussi doué que passionné par son travail, le bon docteur Juran faisait toujours la même observation. Un petit nombre de problèmes étaient à l’origine de la plupart des défauts et irrégularités

De ce constat, il en fit son mantra : « The vital few and the trivial many », qu’on pourrait traduire par « un petit nombre est essentiel, le plus grand nombre est insignifiant ». Ayant entendu parler de Vilfredo Pareto et de ses 80/20, constatant que ses contrôles qualité et les écarts de richesse en Italie suivaient la même répartition, Juran décida d’appeler sa méthode le principe de Pareto. Il en tira un célèbre diagramme : le diagramme de Pareto.

Progressivement, son principe de Pareto se répandit à l’ensemble des entreprises cherchant à améliorer leur production. En matière de gestion de la qualité, le principe de Pareto permet ainsi d’identifier les facteurs qui ont le plus d'effets en termes de rebuts, de réparations ou de coûts, afin d’y apporter les améliorations nécessaires.

Par la suite, Juran continua à développer ses méthodes tout au long de sa vie, inventant notamment la trilogie de la qualité (planification, contrôle et amélioration) ou l’approche QbD, pour Quality by Design (la Qualité par la Conception), insistant sans cesse sur la planification et le management comme piliers de la qualité globale. Une philosophie qui intéressa tout particulièrement le Japon, où il se rendit très régulièrement tout au long de sa vie (et notamment un certain Kaoru Ishikawa) … pays de naissance du lean management, le concept d’amélioration continue. Tout sauf un hasard !

Comment appliquer la loi de Pareto dans ma vie professionnelle ?

Un principe qui s’applique à tous les domaines

Vous vous demandez sans doute maintenant : la loi de Pareto, c’est bien joli… mais comment m’en servir dans mon travail ? Pour Juran, le principe de Pareto est un outil d’analyse universel : 20% des causes engendrent 80% des effets. Point. Bien entendu, c’est un grossier résumé. En réalité, la proportion n’est pas toujours exactement celle-ci. Mais force est de constater que, dans les grandes lignes, la loi de Pareto fonctionne !

Les catégories d’exemples sont nombreuses dans le monde actuel, et ne s’appliquent pas seulement au monde de l’entreprise :

• Gestion des ventes : 20 % des références d’une marque représentent 80 % des ventes
• Gestion client : 20% des clients représentent 80% du chiffre d’affaires
• Service client : 20 % des clients ou 20 % des produits représentent 80 % des réclamations
• Gestion de projet : 80 % du projet nécessite 20 % de l'effort
• Météo : 20% des nuages produisent 80% des précipitations
• Géographie : 80% des Français habitent dans 20% des grandes villes
• Entreprise : 20% des entreprises produisent 80% des richesses
• Impôts : 20 % des contribuables paient 80 % des impôts
• Bourse : 20 % des actions génèrent 80 % des gains sur les marchés financiers
• Revenus : 20 % des personnes possèdent 80 % des richesses mondiales
• Publicité : 20 % des campagnes publicitaires génèrent 80 % des conversions
• E-commerce : 20 % des produits génèrent 80 % du chiffre d’affaires d'un site
• SEO : 20 % des mots-clés d’un site web génèrent 80 % du trafic
• E-mails : 20 % des e-mails nécessitent 80 % du temps de réponse
• Réunions : 20 % des réunions produisent 80 % des décisions importantes
• Informatique : 20 % des bugs provoquent 80 % des plantages
• Cybersécurité : 20 % des failles de sécurité sont responsables de 80 % des attaques
• Logiciel : 20 % des fonctionnalités d’un logiciel sont utilisées 80 % du temps
• Linguistique : 20 % des mots d’une langue sont utilisés dans 80 % des conversations
• Musique : 20 % des artistes génèrent 80 % des écoutes sur les plateformes
• Films : 20 % des films réalisent 80 % des revenus du box-office
• Livres : 20 % des auteurs produisent 80 % des best-sellers
• Forêts : 20 % des espèces d’arbres abritent 80 % des animaux d’un écosystème
• Pollution : 20 % des pays émettent 80 % des gaz à effet de serre
• Énergie : 20 % des pays consomment 80 % de l’énergie mondiale
• Etc.

On pourrait également citer pêle-mêle la logistique, la maintenance, le marketing, la vente, la gestion des risques, la gestion de projets… La loi de Pareto est partout, tout le temps. Y compris dans notre vie de tous les jours. Repensez à votre dernier déménagement : parmi vos amis venus vous aider, 20% d'entre eux n’auraient-il pas fait à eux seuls 80% du travail ? On ne vous en dira pas plus. On ne voudrait pas nuire à vos relations amicales.

L’outil magique de la productivité

Passons au concret. Comment utiliser la loi de Pareto dans votre vie professionnelle. Le principe de Pareto a une fonction essentielle : prioriser vos tâches. Dès que vous avez un projet ou une tâche complexe en cours, vous devez identifier les éléments et les ressources qui produiront 80% des résultats. Par définition, l'impact sur votre stratégie et l’allocation de votre temps sera énorme… que vous plantiez des petits pois ou que vous fabriquiez un produit révolutionnaire !

N'y voyez pas un principe de « flemme organisée ». Cette analyse des tâches essentielles à effectuer en priorité ne vous servira pas à moins travailler, mais à produire de façon plus efficace. A prioriser vos efforts sur ce qui compte vraiment et à obtenir le meilleur impact sur votre produit, vos clients, vos projets… et donc obtenir de meilleurs résultats.

A propos de vos tâches, le principe de Pareto doit vous amener à vous poser certaines questions :

• Est-ce que toutes les tâches de ma liste doivent être traitées en priorité ?
• Les tâches de ma to-do-list relèvent-elles de ma responsabilité ou devraient-elles être attribuées à quelqu'un d'autre ?
• Est-ce que je passe trop de temps à certains types de tâches ?
• Y a-t-il des tâches que je pourrais déléguer à quelqu'un de plus compétent ?
• Ces tâches ont-elles réellement une influence significative sur le résultat global ?

En menant à bien vos projets plus rapidement, vous aurez l’occasion d’obtenir vos premiers résultats très vite. Idéal pour itérer sans devoir attendre de tout finaliser ! Dès que vous obtenez vos premiers résultats et vos premières données, vous pouvez utiliser le principe de Pareto pour débusquer les éventuels problèmes. Or, 20% de ces mêmes problèmes… bref, vous connaissez la règle.

En tant que manager aussi, le principe de Pareto vous sera utile pour distribuer les tâches à votre équipe ou régler les éventuels points de friction. Comme le disait Jospeh Juran dans son livre Managerial breakthrough : « En préparant leurs ambitions, les managers expérimentés savent que seuls quelques éléments majeurs sont décisifs. Le reste sera traité par la même occasion en tant que parties de ces éléments. »

Trop de Pareto tue le Pareto : les dangers et erreurs qui se cachent derrière ce principe

Les applications de la loi de Pareto sont tellement nombreuses que ce principe du 80/20 peut aussi vous rendre un peu fou. Il faut bien avouer que son efficacité empirique (qui se vérifie par l’expérience) vous sautera aux yeux dans la plupart de vos projets…Mais ne perdez pas de vue qu’un principe empirique n’est soutenu par aucune théorie scientifique solide. La répartition 80/20 ne fonctionnera pas tout le temps et à tous les coups. D’ailleurs, ce sera parfois 70/30 ou 90/10. Bref, cela n’a rien de scientifique et gare à la simplification excessive ! Utilisez plutôt le principe de Pareto pour mener une réflexion sur votre organisation de travail ou comme un « life hack » rigolo. Ne basez pas toutes vos décisions sur cette loi et vérifiez toujours les données que vous récoltez avant de les utiliser (comme les petits pois avant de les manger).

Autre écueil : toujours négliger les 80% restants. Dans certains domaines, gardez en tête que les petits contributeurs, les petits clients ou les résultats dits négligeables... ne le sont pas. D'ailleurs, Joseph Juran avait fini par pondérer son principe de Pareto en rajoutant une troisième partie à son diagramme, située entre les 20% essentiels et les 80% négligeables : la awkward zone (zone délicate). En effet, il n'y a pas toujours de point de rupture clair entre les quelques contributeurs vitaux (vital few) et les nombreux contributeurs inutiles (trivial many/useful many). Peut-être que les meilleurs petits pois du jardin ne sont pas ceux qu'on croit...

Méfiez-vous également de vos biais cognitifs. Avez-vous sélectionné vos 20% avec rigueur, en vous basant sur des données, ou de façon totalement arbitraire ? Car les éléments essentiels ne sont pas toujours les plus visibles... D'où l'intérêt de faire un diagramme. Mais encore faut-il le réaliser sans commettre d'erreurs ! Un problème d’échelle, un mauvais choix dans les abscisses et ordonnées ou des données incomplètes, et vous voilà induit en erreur. Un mauvais diagramme peut ainsi vous lancer sur de mauvaises pistes et vous faire perdre un temps précieux. Tout l'inverse de l'effet recherché. De la même manière, une mauvaise interprétation des données risque de vous compliquer la vie... d'autant plus que ces dernières peuvent évoluer dans le temps. 

Enfin, en basant toute votre stratégie sur Pareto, vous pourriez vous retrouver coincé dans une forme d'effet bulle et ignorer tout ce qui tombe dans le domaine des 80%. Résultat ? Plus d'innovation en dehors de ce qui marche déjà (vous ne mangez que des petit-pois), une sous-estimation des risques (que se passe-t-il si vos meilleurs plants tombent malades ?), un manque de diversification (vos petits pois poussent peut-être bien, mais des haricots pousseraient peut-être mieux), etc.

En résumé, le principe de Pareto est un excellent outil d’analyse, qu'on vous recommande chaudement pour gagner en productivité... mais il ne doit pas être appliqué de manière rigide et sans nuance.